La portée critique d’un certain langage filmique

 

Les éditions La Découverte publient un dialogue riche et stimulant entre le philosophe (et cinéphile) Alain Brossat et le réalisateur Jean-Gabriel Périot.

Accompagnant la sortie, aux éditions Potemkine, d’un coffret DVD qui compile l’ensemble des courts métrages de Jean-Gabriel Périot, ce dialogue avec le philosophe Alain Brossat permet d’expliciter les thèmes et la façon de travailler du cinéaste, tout en offrant un regard plus général sur le septième art et les différentes formes d’écriture. Reprenant le fil d’une réflexion de Michel Foucault en 1970, Alain Brossat interroge, d’emblée : « Pourquoi continuons-nous à faire des films, écrire des livres dans les conditions d’un présent dans lequel les puissances critiques, contestataires, subversives de toute écriture sont plus que jamais solubles dans la communication, le spectacle, le commerce, la notoriété, les jeux de reconnaissance pipés… ? » En ligne de mire : les grosses productions de l’industrie culturelle, sans épargner celles qui, pourtant, revendiquent un regard « engagé », à l’instar des films d’un Ken Loach ou d’un Michael Moore. « En termes d’efficacité politique, le cinéma ne peut rien », estime Jean-Gabriel Périot, dont Arte avait diffusé au printemps le documentaire Une jeunesse allemande.

 

« La destruction concertée de l’emploi par les chiens enragés et les loups du néolibéralisme »

Pour autant, « les trouées qu’il peut opérer parfois dans notre quotidien aident à ne pas totalement désespérer et parfois même, de manière miraculeuse, donnent envie de se battre ». C’est bien cette même ambition qui semble animer le réalisateur de 21.04.02, sur le traumatisme suscité par l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, ou d’Entre chiens et loups, qui montre, selon les mots d’Alain Brossat, « la destruction concertée de l’emploi par les chiens enragés et les loups du néolibéralisme ». Politique, le cinéma de Périot l’est assurément, mais sans marteler de message, juste en suscitant le questionnement par le jeu des formes. Cette conversation de deux praticiens de la critique sociale, qui ont travaillé des années durant sur les mêmes thématiques sans pourtant se connaître, a quelque chose de décapant.

 

Laurent Etre
L’Humanité
10 septembre 2018